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UENO, L'AUTRE VISAGE DU JAPON

 

Le quartier de Ueno (上野) possède un immense parc qui offre aux habitants de cette ville-monde qu’est Tôkyô, quelques hectares de verdure et de calme. Situé au nord de Akihabara (秋葉原), le quartier électrique de la ville que j’ai évoqué lors de ma précédente chronique, le Parc de Ueno (Ueno Kôen, 上野公園), est le plus célèbre de la capitale.

 

  Avant de devenir un parc de loisirs, à la fin du siècle dernier, la plaine de Ueno fut le théâtre d’une lutte célèbre de l’histoire contemporaine du Japon, quelques années après le début de la restauration Meiji (1868-1912) qui marquait l’entrée du Japon dans la modernité. Elle opposa les partisans de la réforme incarnée par l’empereur aux partisans du shôgun, l’ancien système politique féodal devenu obsolète et abandonné en 1868. Avec le temps, la bataille de Ueno est devenue le symbole du déclin d’un système dépassé, l’ultime résistance des nostalgiques du Japon d’Edo. Le Parc de Ueno perpétue à sa manière le souvenir de cette lutte : à l’entrée sud du parc, se trouve une statue à l’effigie de Saigô Takamori, samourai issu du célèbre clan des Satsuma et qui fut à la tête d’un soulèvement contre l’empereur dans les îles Kyûshû, en 1878. Ce soulèvement, qui fut violemment réprimé, se solda par le suicide de ce dernier.

Saigô Takamori

  Aujourd’hui, le Parc de Ueno abrite les plus prestigieux musées du Japon, parmi eux notamment le Musée National de Tôkyô (Tôkyô Kokuritsu Hakubutsukan, 東京国立博物館). Il faut cependant veiller à préparer un budget conséquent car la culture, au Japon, a le regrettable défaut d’être chère : il faut compter en général 10 € pour une entrée, pays où le tarif étudiant est pratiqué avec parcimonie. On trouve aussi à Ueno le zoo le plus important de la capitale (Ueno Dôbutsuen, 上野動物園), ainsi qu’un temple dédié au culte du dieu renard (inari), une petite curiosité dont je vous invite à découvrir le charme discret.  

 

 

 

 

 

Tôkyô National Museum

 

Si la plaine de Ueno fut jadis le lieu figurant le déclin fatal d’une classe déchue, les samourais, elle est devenue aujourd’hui le refuge d’une autre classe d’hommes blessés, la terre des nouveaux pauvres. En effet, je fus surpris, lors de ma visite, de constater que le parc était peuplé de sans-abris d’un genre qu’on ne rencontre qu’au Japon. Des salary men, licenciés précocement par leur entreprise et qui sont réduits à « vivre » dans des abris de fortune, des tentes bleues se dressant derrière les bosquets du parc. Ces tentes sont visibles de loin tant leur couleur vive tranche avec le vert de la végétation (la visibilité, sournois panoptique pour une ultime humiliation ?). Je fus frappé de voir une population si nombreuse faire preuve d’autant d’organisation. Ces hommes (exclusivement), presque tous de la même génération (40/50 ans, celle qui fit la gloire du Japon avant d’être mise au pilori après l’éclatement de la bulle spéculative dans les années 90), sont accoutrés comme s’ils sortaient du bureau, portent le costume, lisent le journal, assis sur un banc. Ils font preuve d’une grande dignité en ne pratiquant pas la mendicité.  

J’encourage chaque voyageur à aller faire un tour à Ueno, afin de découvrir enfin le vrai visage de la crise au Japon qu’incarnent ces s.d.f. au mode de vie et au style inattendus. En effet, on a l’impression qu’à côté de la société civile nipponne toujours désireuse de renvoyer une image lisse, parfaite et normative de soi, s’est développé une sorte de société parallèle, celle des exclus. Il est intéressant de voir que ces hommes vivent en groupe, les abris de fortune formant comme des îlots. Dépourvus de la socialisation par le travail, les sdf de ueno semblent recréer un cadre calqué sur les habitudes de la vie qu’ils avaient auparavant. La scène peut sembler surréaliste.  

Au Japon, beaucoup d’hommes décident de quitter leur famille après s’être endettés en empruntant des sommes incalculables destinées à remplacer leur salaire, sans dire à leur épouse qu’il étaient licenciés. Réduits à mimer chaque matin le départ vers un travail qui n’existe plus, ils décident un jour de ne pas rentrer. Ce phénomène est appelé phénomène d’évaporation (ningen jôhatsu, 人間蒸発).

Ces hommes peuvent recevoir toute notre estime car ce sont eux qui ont fait le Japon d’aujourd’hui, celui de la 2ème puissance économique mondiale. Ils n’ont rien « d’individus évaporés », ils sont bel et bien présents si vous allez à Ueno. Ils sont présents à qui veut bien accepter de les voir.

 

Grégory Garel - Le 30 Mars 2003

Photos réalisées par Grégory Garel à Tôkyô en août 2002

 
   
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